Elmore Leonard, virtuose du polar et du western, tire sa révérence (2024)

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Reconnu sur le tard comme un écrivain majeur, le romancier est mort à 87 ans. Il avait été une source d'inspiration pour des cinéastes tels que comme Budd Boetticher, Quentin Tarantino ou Steven Soderbergh.

ParMacha Séry

Publié le 20 août 2013 à 17h07, modifié le 21 août 2013 à 15h23

Temps de Lecture 5 min.

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Elmore Leonard, virtuose du polar et du western, tire sa révérence (1)

C'était un homme discret qui disait ne détenir aucun secret d'écriture: "Vous vous asseyez, vous commencez, c'est tout." Elmore Leonard possédait le flegme de ces écrivains bourrés de talent chez qui l'invention est une corne d'abondance. Auteur de quarante-cinq romans, maintes fois adapté au cinéma, l'écrivain américain a révolutionné le genre policier par son humour et son art consommé des dialogues. Mal remis d'une attaque cérébrale survenue fin juillet, il est mort mardi 20 août à l'âge de 87 ans, dans sa maison de Bloomfield Village, à vingt kilomètres de Detroit (Michigan).

Elmore John Leonard Jr. naît le 11octobre 1925 à La Nouvelle-Orléans (Louisiane). Son père, cadre chez General Motors, est chargé de trouver des sites où l'entreprise automobile pourrait implanter des usines. Après plusieurs déménagements, la famille s'installe en 1934 à Detroit, ville où Elmore Leonard situera plusieurs de ses romans. Sa vocation littéraire est précoce. "J'étais à l'école primaire quand j'ai écrit ma première pièce, inspirée d'All Quiet on the Western Front [A l'Ouest rien de nouveau], un feuilleton publié dans le Detroit Times. Et le film du même nom m'a inspiré encore plus", confiera-t-il au Monde le 23mars 2005.

En 1943, il sert dans la Navy pendant deux ans. Démobilisé, il s'inscrit à l'université, d'où il sort diplômé d'anglais et de philosophie. En 1949, année de son premier mariage, Elmore Leonard trouve un emploi de rédacteur publicitaire. Entre deux annonces pour Chevrolet, il peaufine à son bureau les pages écrites de 5 à 7heures du matin.

Pour ses débuts en littérature, il opte pour le western, le genre littéraire le plus en vogue aux Etats-Unis dans les années 1950. Ses premières nouvelles paraissent dans des magazines masculins et des pulps, ces magazines bon marché où fleurit à l'époque la littérature de genre. Il en publiera une trentaine, la plupart situées dans le sud de l'Arizona vers 1880, ainsi que cinq romans où s'exprime, notamment dans Valdez, sa détestation du racisme.

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L'une de ses nouvelles, The Captives, est adaptée en 1957 sous le titre L'Homme de l'Arizona par Budd Boetticher, marquant le début d'une collaboration ininterrompue avec Hollywood. Les studios acquièrent ensuite les droits d'Hombre (1961), pour 10000 dollars, somme dérisoire mais suffisante pour le décider à vivre de sa plume. Le succès du film tourné en 1967 par Martin Ritt, avec Paul Newman, l'incite à écrire lui-même l'adaptation de son livre suivant, La Guerre du whisky. Il goûte peu l'exercice, qu'il répétera à troisr eprises. Chaque fois, le résultat à l'écran lui semble médiocre, loin du ton singulier qu'il confère à ses intrigues, où la trivialité la plus absurde, l'ambiguïté morale, la nonchalance forment un co*cktail insolite. Les adaptations signées Richard Quine, Richard Fleischer, John Frankenheimer ou encore Abel Ferrara le laisseront également insatisfait.

Les seventies marquent un tournant décisif dans son œuvre. Constatant l'assèchement du lectorat de western par la télévision, qui en diffuse une trentaine par semaine, Leonard change son fusil d'épaule et se met au polar. Régis par un duel ou une quête, ses récits conservent, toutefois, pour un temps au moins, une trame proche du western.
En témoignera, par exemple, le face-à-face final de La Loi de la cité, où un inspecteur, justicier implacable, et un tueur psychopathe s'opposent au sommet d'un gratte-ciel.

Son virage éditorial, cependant, est difficile. The Big Bounce (inédit en France), d'où seront tirés Une si belle garce (1969) et La Grande Arnaque (2004), deux films qu'exécrait Elmore Leonard, est refusé par quatre-vingt-sept maisons d'édition. Mais l'écrivain Leonard est repéré par le légendaire NH Swanson, l'agent qui représenta Faulkner, Fitzgerald et Hemingway. "Gamin, je vais faire de toi un homme riche", lui promet-il. Quand la reconnaissance arrivera, le "gamin" aura les tempes grisonnantes. Car ce n'est qu'en 1983, soit trente ans après ses débuts, qu'Elmore Leonard est enfin consacré, pour La Brava, par un Edgar, la plus prestigieuse récompense pour un roman policier aux Etats-Unis.

Deux ans plus tard, il entre dans la liste des best-sellers avec Le Jeu de la mort. Le New York Times titre: "Un écrivain découvert après vingt-trois livres." Situés en Floride, à partir de 1980, ses romans policiers n'ont jamais été des fictions à énigmes, mais une galerie de personnages à la superbe faconde pris dans des engrenages: crétins pince-sans-rire, tueurs à gages cinglés, bookmakers futés, ploucs bornés, truands lettrés, producteurs de cinéma cyniques. Son meilleur ami, le romancier Donald Westlake, disait de lui, à François Guérif des éditions Rivages, leur éditeur français: "Elmore Leonard est l'homme qui a fait le plus de mal aux jeunes écrivains." C'est que ses livres dégagent une apparente simplicité, une fluidité si naturelle que ses épigones s'acharnent en vain à l'imiter. "Mon style, c'est l'absence de style", répétait l'intéressé. "Dutch", comme on le surnommait depuis le collège, travaillait à l'oreille, coupant ce qui ne sonnait pas comme dans la vie. Peu d'adverbes, de rares adjectifs, des descriptions minimales au motif qu'elles paralysent l'action et incitent le lecteur à sauter les pages.

Avant tout, Elmore Leonard accordait la priorité aux dialogues. Depuis qu'il avait lu en 1954 Tendre jeudi, de John Steinbeck, il n'avait jamais oublié les recommandations figurant dans le prologue: "J'aime bien qu'on parle beaucoup dans un livre, et j'aime pas trop que quelqu'un vienne me dire à quoi ressemble le gars qui parle. Je peux pouvoir me représenter à quoi il ressemble d'après sa façon de causer… m'imaginer ce qu'il pense d'après ce qu'il dit. J'aime bien les descriptions mais pas trop quand même." Le romancier s'efforçait de se rendre invisible et d'enchaîner les scènes, en choisissant toujours le point de vue d'un personnage, celui qui allait leur insuffler le plus de vie. Au fil des ans, il était passé de romans résolument noirs à des comédies tout aussi corrosives, telles les excellente Zigzag Movie et Be cool! Ses influences littéraires avaient évolué, passant, disait-il, d'Hemingway, l'idole de sa jeunesse, à l'humoriste Richard Pryor.

Elmore Leonard, virtuose du polar et du western, tire sa révérence (2)

Il aura fallu attendre les années 1990 pour que le septième art rende justice à son univers où l'humour noir se marie aux flambées de violence. Trois succès l'ont fait accéder au statut d'auteur culte: Get Shorty (1995), de Barry Sonnenfeld, Jackie Brown (1997), de Quentin Tarantino, qui le tient pour son écrivain fétiche, et Steven Soderbergh, qui fit de Loin des yeux un superbe Hors d'atteinte (1998). Depuis 2010, il apparaissait, en tant que producteur exécutif, au générique de la série Justified, dont le personnage principal Raylan Givens était apparu dans une nouvelle, Fire In The Hole, et deux romans, Pronto et Beyrouth-Miami.

Divorcé trois fois, père de cinq enfants, Elmore Leonard rédigeait son 46e roman lorsque la mort a interrompu son plan de travail.

Macha Séry

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